jeudi 4 février 2010

Payer rubis sur l'ongle

Procédons par étape.

Tout d'abord, le mot rubis vient , par un long détour (rubi < robi < robin < rubin < rubinus) du latin rubeus (rouge).

Étant donné la parenté des mots désignant la couleur rouge dans différentes langues, on a supposé une racine indo-européenne *reudho ou *roudho ou *wrhodon qui a donné le grec eruthros (rouge) d'où sont tirés les mots français érythrocyte (globule rouge), érysipèle (inflammation rougeâtre de la peau), rhododendron (arbre à roses ou laurier-rose), rhodium (le métal); et enfin surtout le mot français rose (la fleur et la couleur) avec tous ses dérivés.

La racine indo-européenne a aussi donné les mots latins latin ruber (rouge) d'où rubrique (ce qui est écrit en caractère rouge); rubeus (rougeâtre) qui a donné rouge, rougeole, rougir, rubis (la pierre rouge), rubéole (maladie éruptive rappelant la rougeole), rubicond (dont le visage est rouge); robus (chêne rouge) d'où robuste (résistant comme le chêne rouge, réputé comme le plus dur des bois), rouvre (chêne au bois très dur), corroborer (appuyer, confirmer) et Robur (le héros d'une roman de Jules Verne); rutilans (rutilant), robigo (rouille), russus (roux) qui a donné roux (la couleur et la base de sauce), roussir (rendre roux), rissoler (cuire jusqu'à une couleur dorée) ainsi que les noms de famille Rousseau et Roussel.

La même racine indo-européenne a donné les mots anglais red, le breton ruz, l'irlandais ruad, l'allemand rot, le hollandais rood, le suédois röd, le danois rød et le russe rdet. Tous ces mots signifient la couleur rouge.

Le mot ongle, quant à lui, vient du latin ungula (petit ongle), un diminutif d'unguis (ongle). Lui ausi remonte à une racine indo-européenne *nogh et *onogh qui a donné le grec onux d'où le français onyx (pierre précieuse rappelant les reflets de l’ongle), le sanskrit nakkah, le norois nagli, le vieux slave noguti, le vieux gallois eguin (devenu ewin en gallois moderne), en breton ivin, le vieil irlandais ingen, (devenu ionga en irlandais moderne), l'ancien haut-allemand nagal, (devenu nagel en allemand moderne), le danois negl, le lituanien nagas, l'italien unghia et enfin l'anglais nail. Le sens est partout ongle sauf en sankrit et en vieux slave où le mot signifie sabot et pied.

Le mot français nacre vient de l’italien nacarro (ou naccara, nacharra, nacchera) qui désigne à la fois un instrument de percussion et la matière blanche à reflets irisés de certains coquillages. Le mot italien est emprunté à l’arabe naqqara (petit tambour en forme de corne de chasse), lui-même tiré du sanskrit nakkah (sabot de corne, pied).

Le grec onux a servi à former paronukhia (de para, près de et de onux, ongle) qui désignait un abcès à la base de l'ongle. a donné le latin panaricium, d'où nous avons tiré le français panaris. Le même mot grec a servi à former onychophagie (d’onux et de phagein, manger), une mauvaise habitude affectant plusieurs personnes.

Sens de l'expression

Au départ, l'expression était "faire rubis sur l'ongle", c'est-à-dire boire jusqu'à la dernière goutte de vin.

En effet, si le verre est vraiment vide, la seule goutte (les dernières gouttes s'appelant comme tu le sais les amours) qui peut sortir du verre de vin rouge (le vin rouge était le plus usuel à l'époque du premier emploi écrit de l'expression vers 1640) que l'on renverse complètement est une mini-goutte de vin rouge qui tient sur l'ongle sans s'épancher, s'écouler. Cette mini-goutte pouvait s'assimiler à un rubis, tant pour la forme que la couleur.

De l'idée de boire jusqu'à la dernière goutte, on est passé à payer rubis sur l'ongle (vers 1668), c'est-à-dire jusqu'au dernier sol (sou) et immédiatement après consommation.

Note : L’indo-européen est une langue mère parlée il y a près de 100 000 ans donc les racines sont reconstituées à partir des mots apparentés dans différentes langues.
édiatement après consommation.

lundi 1 février 2010

Seiner, seineur, seineux

Je me suis maintenant fait une tête sur l'origine des mots seiner/senner, seineur/senneur et seineux/senneux.

Il fallait réconcilier les expressions suivantes :
Il m'a encore seiné de l'argent.
As-tu vu le joueur des Canadiens : il est en train de seiner à la ligne bleue adverse.
Il vient toujours en visite autour de 5 heures : il va encore nous seiner un souper.

Il m'apparaît maintenant clairement que ces mots viennent sûrement du verbe seiner/senner signifiant pêcher à la seine/senne, la seine/senne étant le filet de pêche qu'on laisse traîner au fond de l'eau pour ramasser le poisson.

Le verbe apparaît dans les vieux Larousse, Robert et Littré. Le premiers français l'on probablement importé au Canada sous cette forme de seiner ou seineux, dans le sens de solliciter, solliciteur, d’où seineuse pour celle qui sollicite des clients (prostituée).

Il s'agit donc de vieux français et non d'un anglicisme comme je l'avais d'abord supposé.

J'ai trouvé des références intéressantes de ce mot dans Le débutant d'Arsène Bessette (2209) où l'on parle de ces femmes expertes dans l'art de tendre leur croupe et de lancer leurs filets pour attraper le poisson :

" La nuit tombait. La rue s’éclairait peu à peu de pâles reflets électriques, et aux devantures des magasins les
78vitrines brillaient de mille feux donnant un attrait fascinateur aux objets étalés pour exciter la convoitise des passants. D’une ruelle sombre un homme à moitié ivre, ayant une femme à chaque bras, apparut en pleine lumière, en face des deux amis. Le trio les croisa et Paul Mirot crut reconnaître l’une des femmes, une grande brune déhanchée. C’était, assurément, la même qu’il avait rencontrée rue Saint-Laurent, le jour de son arrivée. Jacques Vaillant remarqua la persistance avec laquelle il suivait cette femme du regard, et lui demanda : – Est-ce que, par hasard, tu connaîtrais cette seineuse ? – Cette seineuse ? – Les seineuses sont les concurrentes des pianolegs. On les nomme seineuses parce que, si elles n’ont pas l’avantage des mollets découverts et l’attrait qu’inspire aux esprits déréglés le mystère des petites filles, elles sont, en revanche, plus expertes en l’art de tendre leur croupe et de jeter leurs filets pour attraper le poisson. Cette grande brune est, si je ne me trompe pas, la bonne amie de Solyme Lafarce, qui, en plus de son métier de reporter, exerce celui de pourvoyeur de clients dans la maison où cette drôlesse exploite ses jolis talents. Mais tu n’as pas encore répondu à ma question, connais-tu cette femme ? "

Vous pouvez même lire son roman en ligne si ça vous tente : http://www.docuter.com/viewer.asp?documentid=14758335364a41da7b97ad11245829755&bessette-debutant

Louise-Laurence Larivière, dans son Guide de féminisation des noms communs de personnes (2005), le qualifie de québécisme et suggère seineux, seineuse.
http://www.google.ca/search?hl=fr&client=firefox-a&rlz=1R1RNFA_fr___CA356&hs=Qu2&q=seineuse&btnG=Rechercher&meta=&aq=f&oq=

Il semble malgré tout que certains donnent au mot seineux, épieur, écornifleur comme en fait fois ce texte d'Alexandra Lussier (2002) intitulée La seineuse : http://www.cssh.qc.ca/ecoles/maurice-jodoin/projets/2ecycle/legendes/animal/seineuse.htm