jeudi 26 mai 2011

Batte-feu

Une question anodine de ma sœur Mireille : d’où vient l’expression batte-feu? Sans le savoir — ou le sachant trop bien —, elle me remet sur la branche qui m’allume — clin d’œil malin —, l’étymologie et surtout sur l’histoire quelque peu alambiquée de ce fameux batte-feu.

L’histoire commence par un mot qui semble très loin de la question : le mot brique.

Brique

Brique, emprunté au néerlandais bricke (petit morceau, pièce) qu’on peut sûrement rattacher au verbe de même origine breken (casser en morceau) à l’origine du verbe anglais to break (casser), à comme première valeur en français petit morceau, petite pièce, miette. Ce sens est sorti d’usage quoiqu’on le retrouve encore dans l’expression argotique bouffer des briques, c’est-à-dire n’avoir rien à manger.

Le mot brique a commencé par la suite à désigner petit morceau moulé, en particulier petit morceau moulé en terre cuite. Puis, il a désigné une liasse de billets de banque, d’où est tiré le sens argotique d’une brique, soit un million de dollars.

Briquet

Briquet est un diminutif de brique signifiant lui aussi petit morceau, petite quantité. Ce sens survit dans quelques spécialisations du mot dont petit morceau d’acier avec lequel on bat le silex pour un tirer une étincelle. Auparavant, on employait le mot fusil dans ce sens.

Fusil

Le mot fusil vient du latin populaire focilis (qui produit du feu), lui-même tiré de focus (feu) qui a donné en français foyer et focal. On désignait par focilis petra (pierre à feu), chacun des morceaux de silex qu’on frappait ensemble pour produire l’étincelle et finalement allumer le feu. Le mot fusil a ensuite désigné un morceau d’acier avec lequel on frappait ou battait le silex pour en tirer du feu. Ce sens est resté dans l’expression pierre à fusil et aussi dans fusil de boucher (baguette d’acier servant à aiguiser les couteaux).

Dans les anciennes armes à feu, le fusil était une pièce d’acier contre laquelle venait frapper le silex permettant d’allumer la poudre pour faire partir le coup de feu. Par métonymie, fusil s’est mis à désigner l’arme à feu qui comportait à l’origine cette pièce. Le mot fusil ayant perdu son sens d’origine fur donc remplacé par briquet.

Battre le briquet

La locution battre le briquet (1), encore employé aujourd’hui au sens figuré, signifiait donc frapper le silex à l’aide d’un petit morceau d’acier. Le sens de briquet s’est ensuite étendu pour désigner un petit appareil servant à produire du feu, au départ formé d’une pierre à feu et d’amadou (matériau qui s’enflamme facilement), aujourd’hui alimenté à l’essence ou au gaz.

Soulignons en passant que le mot amadou est d’origine assez obscure et appartient à l’argot des truands et mendiants de Paris. Son dérivé amadouer a d’abord signifié frotter avec de l’amadou, c’est-à-dire se frotter le visage avec une préparation jaunissant le teint pour paraître malades et provoquer la pitié. Amadouer a par la suite signifié apaiser, flatter par de belles paroles avec l’intention de tromper. On trouve aussi comme sens figuré de battre le briquet, avoir les genoux qui se touchent quand on marche, être cagneux.

Une digression ici s’impose. Dans la comptine enfantine Au clair de la lune, on fait référence à battre le briquet (2). Il s’agit bien entendu d’un jeu de mot sur le sens figuré de battre le briquet, débiter ses sentiments à une femme, allumer la flamme de l’amour, plus trivialement allumer une femme et enfin lui faire l’amour. D’ailleurs quand on lit la comptine au complet, on s’aperçoit du clin d’œil grivois et des références au sexe cachées dans le texte. Par exemple, un lubin (loup) désigne un moine cachant un cœur de loup, donc dépravé. À compter de cette interprétation, on peut chercher le sens imagé et pas si caché de chandelle, plume, etc.

Batte-feu

Mais revenons à notre propos. On employait autrefois couramment l’expression briquet à battre le feu pour désigner l’objet. On disait aussi battre le briquet pour allumer le feu. Toutes ces expressions viennent de l’habitude de désigner le fusil et plus tard le briquet par les expressions acier à battre le feu, pierre à battre le feu ou fusil pour battre le feu.

Le déverbal batte désigne d’abord une clenche ou un loquet, sens sorti d’usage; puis, il a désigné, vers 1471) un instrument servant à battre, d’où batte-feu.

Les premiers européens à venir au Canada importèrent avec eux ces expressions et ont commencé à désigner le fusil, puis le briquet par batte-feu, l’appareil pour battre le feu.

(1)
Production du feu grâce à un morceau de marcassite, un éclat de silex et un fragment d'amadou
(image à venir)

Production du feu grâce à un briquet, un éclat de silex et un fragment d’amadou
(image à venir)


(2)
Au clair de la lune

Au clair de la lune, mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume, pour écrire un mot.
Ma chandelle est morte, je n'ai plus de feu.
Ouvre-moi ta porte, pour l'amour de Dieu.

Au clair de la lune, Pierrot répondit :
- « Je n'ai pas de plume, je suis dans mon lit.
Va chez la voisine, je crois qu'elle y est
Car dans sa cuisine, on bat le briquet. »

Au clair de la lune, l'aimable lubin
Frappe chez la brune, elle répond soudain
- « Qui frappe de la sorte ? », il dit à son tour
- « Ouvrez votre porte pour le Dieu d'Amour »

Au clair de la lune, on n'y voit qu'un peu
On chercha la plume, on chercha du feu
En cherchant d'la sorte je n'sais c'qu'on trouva
Mais je sais qu'la porte sur eux se ferma.